lunes, 16 de noviembre de 2009

Remy de Gourmont: El secreto de Don Juan




LE SECRET DE DON JUAN




...Et simulacra modis pallentia miris.

(Georg., I, 477)


I


D'âme nulle et de chair avide, Don Juan, dès l'adolescence, se prépara à l'accomplissement de sa vocation et de son rôle légendaire. La prescience des habiles lui révéla ce qu'il devait être, et il entra dans la carrière armé et orné de cette devise :


« Pour plaire, il faut prendre ce qui plaît à celles qui plaisent. »


A une défaillante blonde, il prit le geste de comprimer d'une main adroite le douloureux battement d'un cœur absent ;


A une autre, il prit un ironique clignement des paupières qui donnait l'illusion de l'impertinence et qui n'était que la souffrance d'un œil faible devant la lumière ;


A une autre, il prit le geste du petit doigt levé et regardé avec soin comme une trouvaille rare ;


A une autre, il prit le joli frappement d'un pied subtilement impatient ;


A une autre, languide et pure, il prit le sourire où, comme dans un miroir magique, on voit, avant les contentements d'après le jeu, et après le jeu, la réviviscence des joies du désir ;


A une autre, non moins pure, mais vive et sans langueurs, toujours agitée de mouvements pareils à ceux d'une chatte aux heures d'orage, il prit encore un sourire, le sourire où il y a des baisers si puissants qu'ils déconcertent le cœur des vierges ;


A une autre, il prit le soupir, le long soupir brisé qui est le timide frère du sanglot, le soupir impressionnant et qui annonce la tempête comme un vol précipité d'oiseau ;


A une autre, il prit la lente et inquiétante démarche de celles qui sont aimées de trop d'amour ;


A une autre, il prit l'amoureuse façon de dire à mi voix des riens et de susurrer : « Il pleut », comme s'il pleuvait des anges.


Il prit des regards, tous les regards, les doux, les impérieux, les dociles, les étonnés, les compatissants, les envieux, les fins, les fiers, les dévorants, les foudroyants et beaucoup d'autres, parmi lesquels le chapelet, compté grain à grain, des regards fascinateurs. Mais le plus beau regard que prit Don Juan, rubis entre les coraux, saphir entre les turquoises, ce fut le regard de bête traquée que lui légua, mourante d'amour et de désespoir, une fille qu'il avait violée. Ce regard était si touchant que nul n'y résistait, pas même la plus farouche, et que les vœux éternels fondaient à sa lueur comme un péché sous un rayon de grâce.


II


Don Juan fit encore une plus admirable conquête, celle d'une âme, — une âme ingénue et fière, tendre et hautaine, d'une séductrice douceur et d'une séductrice violence, et une âme qui ne se connaissait pas, une âme pleine d'instinctifs désirs, une âme délicieusement naïve.


Il s'était approché, paré de toutes ses séductions, le geste douloureux atténué par un peu d'ironie dans l'œil et un peu de joie sur les lèvres ; sa démarche lente de créature trop aimée se corrigeait par un fier redressement de tête, et le premier long soupir brisé qui sortit de sa poitrine fut accompagné d'un frappement de pied subtilement impatient, — comme pour dire : « Vous m'avez blessé le cœur ; je ne puis m'empêcher de vous aimer, mais j'en éprouve de la colère. » Ensuite, il fit le regard de la bête traquée ; ensuite, il joua à regarder son petit doigt.


Après quelque silence, il susurra amoureusement : « Il fait beau, ce soir », — et tout de suite la jeune femme répondit : "C'est mon âme que vous me demandez, Don Juan ! Eh bien ! prenez-la, je vous la donne.»


Don Juan accepta l'âme délicieusement naïve et si féminine que la soudaine amoureuse lui offrait avec sa peau, ses cheveux, ses dents, toutes ses beautés et le parfum de tous ses arcanes, — et, ayant joui de la soudaine amoureuse, il s'éloigna.


De l'âme, il se fit un candide et invincible manteau où il se drapait, ainsi qu'en des plis de velours blanc, — et, orné d'une telle âme, plus triomphant qu'un tueur de Mores, plus adoré qu'un pèlerin de Saint-Jacques ou qu'un revenant de Palestine, il poussa ses conquêtes jusqu'au nombre de mille et trois.


Toutes ! toutes celles qui peuvent donner un plaisir nouveau, une nuance nouvelle de joie, toutes se laissaient prendre par celui qui avait pris à leurs sœurs tout ce qui plaît. Elles venaient au-devant de lui, et, lui baisant les mains, faisaient leur soumission, amoureuse peuplade vaincue déjà par l'approche du vainqueur.


Bientôt, elles se battirent à qui serait la première soumise et la plus soumise, et, ivres d'esclavage, elles mouraient d'amour avant d'avoir aimé.


Par les villes et dans les châteaux, et jusque parmi les bergères, on n'entendait plus que ce cri des enamourées : « O ma chère ! ô ma chair ! Il est irrésistible ! »


III


Cependant, Don Juan se fanait. La sève épanouie en luxuriantes forces retomba en pluie de feuilles sèches et, toujours aussi grand, l'arbre n'était plus qu'une ombre.


Des tardives fleurs, Don Juan donna le dernier grain de pollen ; tant qu'il eut dans le sang une goutte de semence, il aima, — puis, ne pouvant plus aimer, il se coucha et attendit celle qui devait venir, la seule qu'il n'eût pas encore captée.


Et quand elle arriva, Don Juan, pour la capter, lui offrit tout ce qui plaît, tout ce qu'il avait pris à celles qui plaisent.


— Je te donne la séduction, dit Don Juan, à toi, la laide, mes gestes, mes regards, mes sourires, mes voix diverses, tout et même mon manteau, qui est une âme : prends et va-t'en ! Je veux revivre ma vie par le souvenir, car je sais maintenant que la véritable vie, c'est le souvenir.


— Revis ta vie, dit la Mort. Je reviendrai.


La Mort disparut et les Simulacres se levèrent du milieu de l'ombre.


C'étaient de jeunes et belles femmes toutes nues et toutes muettes, inquiètes comme des êtres à qui il manque quelque chose. Elles se tenaient en spirale autour de Don Juan, et pendant que la première lui mettait la main sur la poitrine, la dernière était si loin dans les espaces qu'elle se confondait avec les étoiles.


Celle qui lui mettait la main sur la poitrine lui arracha le geste de comprimer l'émotion d'un cœur absent ;


Une autre lui reprit l'ironique cillement de ses blanches paupières ;


Une autre lui reprit la grâce de contempler l'ongle de son petit doigt ;


Une autre lui reprit l'impatience de ses pieds ;


Une autre lui reprit le complexe sourire qui donne la satisfaction avant et le désir après ;


Une autre lui reprit le sourire où, comme dans une alcôve, s'étendent des pâmoisons ;


Une autre lui reprit son soupir d'oiseau peureux ;


Et il fut encore dépouillé de sa lente démarche d'être qu'on aime trop ; et de sa façon amoureuse de dire : « Il pleut », comme s'il pleuvait des anges ; et du chapelet, compté grain à grain, de ses regards : les impérieux comme les étonnés, les dociles et les fascinateurs lui furent repris ; — et la douce violée vint à son tour lui reprendre son regard de bête traquée par l'amour et par le désespoir.


Une autre, enfin, lui reprit son âme, l'âme délicieusement naïve dont il s'était fait un manteau de velours blanc, — et il ne resta de Don Juan qu'un fantôme inane, qu'un riche sans argent, qu'un voleur sans bras, une morne larve humaine réduite à la vérité, disant son secret !


REMY DE GOURMONT



EL SECRETO DE DON JUAN


...Et simulacra modis pallentia miris.

(Georg., I, 477)


La traducción corregida de este admirable cuento de Gourmont puede leerse aquí

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